L’intelligence artificielle (IA) est un domaine dont la croissance est l’une des plus rapides actuellement, son impact sera probablement un des plus importants de l’histoire de l’humanité. Le champ d’étude de cette discipline est encore largement ouvert, ce qui laisse de larges perspectives de découvertes pour ceux qui souhaitent s’y consacrer.

Il est intéressant de se demander si l’intelligence artificielle représente une rupture technologique telle que le travail s’en trouvera transformé de manière brutale, avec des répercussions importantes sur le travail, ou si elle s’inscrit dans la continuité des transformations numériques à l’œuvre depuis plusieurs décennies.

Les applications de l’IA dans les processus de travail sont immenses et, par exemple, vont des robots collaboratifs (cobots) aux technologies portables, aux tablettes d’assistance sur les chaînes de montage de production, aux chatbots dans les entreprises, les entrepôts et les centres d’appels, en passant par les équipements de protection individuelle (EPI) intelligent jusqu’aux processus algorithmiques dans les applications de ressources humaines.

A mesure que les systèmes d’intelligence artificielle trouvent leur application dans le monde du travail, il convient de s’interroger si les prescriptions réglementaires actuelles sont suffisantes pour adresser les dangers et risques que celle-ci introduit dans le cadre professionnel.

D’un autre côté, l’intelligence artificielle pourrait représenter une opportunité dans l’amélioration du bien-être au travail. Des applications pourraient, par exemple, être développées en vue d’anticiper et/ou de prévenir les dangers et risques encourus. L’utilisation de robots intégrant l’IA permet d’éloigner les travailleurs de situations dangereuses et d’améliorer la qualité du travail en confiant des tâches répétitives à des machines rapides, précises et infatigables. Les cobots peuvent également faciliter l’accès au travail pour de nombreuses personnes (travailleurs âgés ou handicapés) et collaborer avec des travailleurs humains dans un espace de travail partagé.

Dans ce thème, nous explorons comment l’IA influence le bien-être des travailleurs, en mettant en lumière les définitions clés, les réglementations applicables, les risques potentiels et les opportunités offertes par cette technologie.

Pour en savoir plus sur les implications de l’IA dans le domaine du bien-être au travail, nous vous invitons à explorer les rubriques sous ce thème, qui approfondissent les questions liées aux principes de prévention, à l’évaluation des risques, et à l’utilisation des EPI intégrant l’IA.

  • Intelligence artificielle (IA) - Réglementation

    Réglementation belge

    Dans le contexte européen, le droit belge est souvent fortement influencé par les normes européennes. En matière de bien-être au travail, une directive européenne a été transposée en droit belge et a donné lieu à la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail (aussi appelée la loi bien-être). Il s’agissait de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. On parle aussi de la directive-cadre sur la sécurité et la santé au travail (SST).

    Sur base de cette directive, des directives particulières d’exécution ont pu être développées. Celles-ci ont été transposées et constituent, pour la plupart, le code du bien-être au travail (ci-après « le code »).

    Contrairement à l’ancienne réglementation (le Règlement général pour la protection du travail, RGPT) qui se basait sur des prescriptions détaillées en termes de moyens, le code se base sur des prescriptions d’objectifs. La loi sur le bien-être et le code comportent donc des prescriptions techniques détaillées moins amplement. On travaille selon une structure plus flexible avec principalement des normes juridiques auxquelles l'employeur peut donner une interprétation concrète à sa manière.

    Le RGPT a déjà été vidé de son contenu en majeure partie et d'ici peu il disparaîtra complètement étant donné que les dispositions restantes du RGPT seront transférées vers le code, ou lorsque cela n'est pas possible, abrogées.

    Politique en matière de bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail

    La réglementation sur le bien-être des travailleurs, notamment l'article 5 de la loi du 4 août 1996 (la loi bien-être), impose à l'employeur une série de mesures visant à promouvoir la sécurité et la santé sur le lieu de travail. Ce texte met en lumière les principes fondamentaux de la prévention des risques, tels qu'éviter les risques à la source, évaluer ceux qui ne peuvent être évités, et privilégier les protections collectives aux protections individuelles.

    Les dispositions s'appliquent également à l'utilisation des équipements de travail, y compris ceux intégrant des technologies émergentes comme l'intelligence artificielle. Le cadre légal précise les obligations de l'employeur quant à la mise à disposition d'équipements sûrs, conformes aux directives européennes, et adaptés au travail réalisé.

    Pour explorer plus en détail ces obligations et la manière dont elles influencent le bien-être et la sécurité des travailleurs, vous pouvez consulter les rubriques Principes généraux et Equipements de travail sur le site du SPF Emploi, qui approfondissent les thèmes liés aux principes de prévention, à l'évaluation des risques, et à l'utilisation des équipements de travail. 

    Réglementation en matière de collecte de données et d’utilisation d’algorithmes au travail

    Parler d’intelligence artificielle sous-entend s’intéresser à la collecte de données dont elle a besoin mais également à l’utilisation d’algorithmes qui constituent son fonctionnement.

    L'intelligence artificielle (IA) a le potentiel de transformer la façon dont les entreprises traitent les données personnelles. Cependant, cela soulève également des préoccupations en matière de confidentialité et de protection des données.

    Conventions collectives

    Outre le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), il existe en Belgique un certain nombre de conventions collectives de travail (CCT) qui peuvent être appliquées à la collecte de données et à l’utilisation d’algorithmes au travail.

    La convention collective de travail n°39

    Cette convention prévoit que les employeurs qui veulent investir dans de nouvelles technologies entraînant des conséquences en ce qui concerne l’emploi, l’organisation du travail ou les conditions de travail sont tenus, au plus tard trois mois avant le début de l’implantation de la nouvelle technologie, de fournir une information sur les conséquences des innovations en question et de procéder à une concertation à ce sujet avec les représentants des travailleurs au sein de l’entreprise.

    Lire le texte complet de cette convention sur le site du Conseil national du Travail (CNT) : Convention collective de travail n° 39 du 13 décembre 1983 (PDF, 42,4 Ko).

    La convention collective de travail n°68

    Cette convention régit l’utilisation de caméras de surveillance sur le lieu de travail dans le respect de la vie privée du personnel. Selon cette CCT, l’utilisation de caméras est autorisée uniquement pour assurer la sécurité et la santé, la protection des biens de l’entreprise, le contrôle du processus de production et le contrôle du travail du travailleur. L’évaluation des travailleurs ne peut toutefois pas être basée exclusivement sur les données collectées par caméra.

    En raison de la finalité poursuivie, cette réglementation ne s’applique pas systématiquement à tous les systèmes et logiciels d’IA.

    Lire le texte complet de cette convention sur le site du CNT : Convention collective de travail n° 68 du 16 juin 1998 (PDF, 51,5 Ko).

    La convention collective de travail n°81

    Cette convention prévoit que les employeurs doivent respecter la vie privée de leurs travailleurs. Aux termes de cette CCT, un contrôle des données n’est autorisé que moyennant le respect de certains principes de finalité, de proportionnalité et de transparence. Un contrôle est possible, mais il doit être mené en premier lieu au niveau collectif. Il ne peut être individualisé que si une infraction a été constatée. L’employeur qui souhaite installer un système de contrôle des données de communication électroniques en réseau est dès lors tenu d’informer préalablement le conseil d’entreprise ou le Comité pour la prévention et la protection au travail, ainsi que les travailleurs, de tous les aspects de ce contrôle.

    Lire le texte complet de cette convention sur le site du CNT : Convention collective de travail n° 81 du 26 avril 2002 (PDF, 255 Ko).

    Non-discrimination

    La loi belge pose un principe général interdisant la discrimination directe et indirecte des personnes en raison de l'âge, de l'orientation sexuelle, de la race, du sexe ou de la religion. Les employeurs doivent s'assurer que l'utilisation de l'IA ne conduit pas à une discrimination indirecte ou à une violation de ces règles.

    Cette interdiction est consacrée dans la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, ainsi que par la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie et la loi du 10 mai 2007 sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes. L'interdiction de discriminer est d'application en matière de relations de travail (accès au marché du travail, détermination du salaire et des conditions de travail, promotion, licenciement).

    Travail via plateforme : réglementation belge

    La loi belge du 3 octobre 2022, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, introduit des dispositions spécifiques pour l'économie de plateformes. Elle établit une présomption de contrat de travail entre les travailleurs et les plateformes, similaire aux régulations dans des secteurs comme le transport, le nettoyage et la construction, mais adaptée aux plateformes. Cette présomption peut être levée si certaines conditions ne sont pas remplies. Pour cela, la relation de travail est examinée à l’aide de 8 critères spécifiques. Si au moins trois critères, ou deux des cinq derniers, sont satisfaits, la relation est présumée être celle d'un contrat de travail.

    Lire le texte complet de la loi sur le site du Moniteur belge : 3 OCTOBRE 2022. - Loi portant des dispositions diverses relatives au travail.

    Réglementation européenne

    Règlement général sur la protection des données (RGPD)

    Le RGPD est une réglementation européenne qui vise à protéger les données personnelles des citoyens de l'Union européenne (UE).

    Les entreprises doivent tenir compte des obligations du RGPD lorsqu'elles utilisent des systèmes d'IA pour traiter des données personnelles. Elles doivent être transparentes sur leurs activités de traitement des données, obtenir le consentement explicite des individus, minimiser les données collectées, offrir un droit à l'oubli et être responsables de la protection des données.

    Voici quelques-unes des obligations du RGPD en relation avec l'utilisation de l'IA.

    Transparence

    Le RGPD exige que les entreprises soient transparentes sur la manière dont elles collectent, utilisent et stockent les données personnelles. Cela signifie que les entreprises doivent fournir des informations claires et compréhensibles sur les activités de traitement des données impliquant l'IA.

    Consentement

    Le RGPD exige que les entreprises obtiennent le consentement explicite des individus avant de collecter et de traiter leurs données personnelles. Cela s'applique également à l'utilisation de l'IA. Les entreprises doivent donc s'assurer que les individus ont donné leur consentement éclairé pour le traitement de leurs données par des systèmes d'IA.

    Minimisation des données collectées

    Le RGPD exige que les entreprises ne collectent que les données personnelles nécessaires à l'accomplissement de leurs objectifs de traitement. Les entreprises doivent donc s'assurer que les systèmes d'IA qu'elles utilisent n'ont pas accès à des données qui ne sont pas nécessaires pour remplir leur fonction.

    Droit à l'oubli

    Le RGPD donne aux individus le droit de demander la suppression de leurs données personnelles. Cela peut poser des défis pour les systèmes d'IA, qui peuvent avoir stocké des données dans des modèles de machine learning. Les entreprises doivent être en mesure de supprimer les données personnelles des individus de manière efficace et fiable.

    Responsabilité

    Le RGPD exige que les entreprises soient responsables de la protection des données personnelles. Cela signifie que les entreprises doivent être en mesure de démontrer leur conformité à la réglementation. Les entreprises doivent donc documenter les activités de traitement des données impliquant l'IA et mettre en place des mesures de sécurité appropriées pour protéger les données personnelles.

    Réglementation sur l’IA

    Au niveau de la commission européenne, une proposition de réglementation sur l’intelligence artificielle a été faite le 21 avril 2021. Plus d’informations sur le site EUR-Lex de l’UE : Proposition de règlement sur l’intelligence artificielle. L’objectif de celle-ci était d’asseoir une vision européenne de l’IA basée sur l’éthique en prévenant les risques inhérents à ces technologies par un règlement commun permettant d’éviter certaines dérives. Cette directive ne visait pas uniquement le bien-être des travailleurs en particulier mais tous les domaines qui pourraient être impactés par l’introduction de l’IA.

    Le 14 juin 2023, les députés européens ont adopté leur position de négociation sur la loi sur l'IA. Les pourparlers avec les pays de l'UE au sein du Conseil sur la forme finale de la loi ont abouti le 9 décembre 2023 à un accord provisoire sur le texte.

    En ce début 2024, les 27 Etats membres de l’UE ont approuvé à l’unanimité la loi sur l’IA confirmant ainsi l’accord politique conclut en décembre.

    Le 12 juillet 2024, le Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle a été publié au Journal officiel de l’Union européenne.

    Le règlement vise à traiter les risques spécifiquement créés par les applications d’IA, à proposer une liste d’applications à haut risque, à définir des exigences claires pour les systèmes d’IA pour les applications à haut risque et à définir des obligations spécifiques pour les utilisateurs d’IA et les fournisseurs d’applications à haut risque.

    Certaines dispositions du règlement comprennent :

    • Interdiction des pratiques d’IA discriminatoires : l’utilisation de l’IA qui pourrait entraîner une discrimination injuste est interdite, en particulier sur la base de critères tels que la race, l’origine ethnique, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, etc.
    • Transparence et traçabilité : les systèmes d’IA doivent être transparents et fournir des informations compréhensibles sur leur fonctionnement. Les décisions prises par des systèmes d’IA doivent pouvoir être expliquées.
    • Evaluation de la conformité : Certains systèmes d’IA à haut risque, tels que ceux utilisés dans les domaines de la sécurité, de la santé ou des ressources humaines, doivent être évalués avant leur déploiement pour garantir leur conformité avec les réglementations.
    • Supervision réglementaire : la création d’un système de supervision réglementaire pour l’IA est proposée, avec des autorités compétentes dans chaque Etat membre de l’UE chargées de surveiller la conformité des fournisseurs de systèmes d’IA.
    Règlement machine

    Le nouveau Règlement (UE) 2023/1230 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2023 sur les machines, abrogeant la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 73/361/CEE du Conseil a été publié le 29 juin 2023. Il s’agit donc à présent d’un règlement qui est directement applicable aux pays de l’union et ne doit plus être transposé sur le plan national. Le règlement s'appliquera à partir du 20 janvier 2027.

    Le règlement sur les machines définit les exigences en matière de sécurité et de santé pour les machines fabriquées et vendues au sein de l’Union européenne. A travers ce règlement, le Parlement souhaite maximiser la protection des travailleurs et des consommateurs et promouvoir la libre circulation des machines au sein du marché européen.

    La définition de « machine ou produit connexe » a été élargie, permettant ainsi d’inclure notamment les cobots.

    Ce règlement permet l’alignement de la réglementation sur les avancées technologiques telles que l’intelligence artificielle, les nouvelles applications des systèmes de numérisation et de cybersécurité. Pour ce faire, il introduit des exigences en matière de sécurité des machines autonomes, pour la collaboration homme-machine et pour l’utilisation sûre des systèmes d’intelligence artificielle dans les machines et produits connexes.

    Travail via plateforme (réglementation européenne)

    Au niveau de l'Union européenne, le Conseil de l'Union européenne a adopté de nouvelles règles sur le travail via une plateforme le 14 octobre 2024. Les États membres disposent de deux ans pour intégrer les dispositions de la directive en question dans leur législation nationale. Plus d’informations sont disponibles sur le site du Conseil de l’UE : Règles de l'UE sur le travail via une plateforme.

    Le 11 novembre 2024, la Directive (UE) 2024/2831 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne.

    La directive apporte deux grandes améliorations :

    • elle permet de déterminer correctement le statut professionnel des personnes travaillant via des plateformes numériques
    • elle établit les premières règles de l'UE en matière d'utilisation de systèmes algorithmiques sur le lieu de travail.

    Plus d’informations sur la réglementation sont disponibles sur le site du Conseil de l’UE : Travailleurs des plateformes: le Conseil adopte de nouvelles règles pour améliorer leurs conditions de travail